Fausse(s)-couche(s).

Ça faisait 20 mois que j’avais arrêté la pilule, pour être sûre de préparer mon corps, j’étais impatiente de « commencer ». La première année il nous est arrivé de ne pas « faire attention » avec la contraception, on avait alors l’impression de prendre un risque car nos situations professionnelles (beaucoup de déplacements longs et / ou à l’étranger, preuves à faire…) n’étaient pas compatibles avec un bébé. Bien sûr, au fond de nous, on savait très bien qu’on aurait privilégié le bébé. Mais on s’était laissé encore une année, jusqu’à notre mariage, pour se lancer dans la grande aventure qui commençait à nous faire sérieusement envie. Le mariage est arrivé, il a passé, et on a commencé à vraiment « faire attention » aux dates, pour bien viser et se donner toutes les chances de faire ce bébé. Eté, automne. J’ai commencé à m’inquiéter de ne rien voir venir, je sentais que quelque chose n’allait pas, comme un inexplicable pressentiment. Dans ma famille, et parmi mes proches, les gens font des enfants en neuf mois. Ils décident, ils y vont et ça marche. Je découvre que je suis l’exception. L’hiver est arrivé, un premier noël en mal de bébé m’a rongé le moral. J’ai passé le réveillon avec ma nièce sur les genoux, le nez dans son cou de bébé. Triste. Mais ça y était. 20 mois après la dernière pilule. Je ne savais pas que ce premier jour de règles était celui de ma première DDR, date des dernières règles, le fameux sésame.
J’ai découvert un mois plus tard qu’un petit embryon avait fait son nid. Nous étions fous de joie. La malchance nous quittait, bien sûr qu’il ne pouvait pas en être autrement, pas nous, nous, nous n’avons pas de problème. J’avais bien sûr vaguement peur pour le bébé de temps en temps, j’étais inquiète quand je devais prendre l’avion ou passer des journées fatigantes. Ma généraliste m’avait bien vite fait me sentir ridicule en me sermonnant sur le fait que la grossesse n’est pas une maladie et qu’il faut la vivre normalement. Alors je ne m’en suis plus fait, me fiant à ma première et seule prise de sang, rendez-vous pris à 13SA pour la première échographie. Je ne pensais plus qu’à cette date, j’avais tellement hâte de voir ce bébé que j’avais à présent l’impression d’avoir attendu toute la vie. J’étais sereine, un peu fatiguée, un peu barbouillée parfois mais tellement heureuse…
Une semaine avant l’échographie prévue, mon mari est parti pour un déplacement d’un mois à l’étranger. A son retour, j’aurais sûrement un petit ventre déjà rond. J’appréhendais de me rendre seule au rendez-vous, ça me chagrinait de ne pas partager ce moment avec lui. Mais d’un autre côté j’étais aussi un peu contente d’avoir le petit bout pour moi toute seule à l’occasion de cette première rencontre. Je comptais les jours qui me séparaient de ce lundi de mars. Le vendredi, trois jours avant, j’ai remarqué de légères traces rosées sur mes sous-vêtements. Dans le doute, j’ai téléphoné à mon gynéco, qui ne savait pas encore que j’étais enceinte, il m’a proposé de passer dans l’après-midi. Le temps que je me rende à son cabinet, les pertes s’étaient arrêtées. J’ai failli annuler, mais l’envie de voir le bébé était plus forte que tout, si près du but.
Le gynéco m’a rassurée sur les pertes et m’a dit que c’était très fréquent. Que si je ne saignais pas rouge et n’avais pas de douleurs, tout était ok. Ensuite, il m’a adressé un grand sourire et m’a proposé de regarder le bébé. J’étais aux anges. Il a commencé par une échographie pelvienne, la première de ma vie. J’étais déjà émue quand il a commencé à étaler le gel. Il ne voyait pas le bébé, il est donc passé en échographie endovaginale. Et je l’ai vu. Mon tout petit haricot avec ses petits bourgeons de main, sa grosse tête, recroquevillé en bas de l’image, son dos en arrondi. Tout cet amour que je portais déjà en moi, matérialisé sur une image. Le gynéco a froncé les sourcils, je n’en menais pas large. Il a allumé le son. J’ai entendu un grondement sourd. Le gynéco, l’air soucieux, ne parlait pas, il jouait avec la sonde, zoomait, dézoomait. Il a soupiré. Dans un souffle, j’ai demandé si on n’était pas supposé entendre son cœur. Le gynéco a coupé le son et l’image, et m’a répondu en passant une main sur ma joue que ce n’était pas bon. Le cœur de mon bébé s’était arrêté depuis au moins le début de la semaine.
Je me suis rhabillée puis je l’ai suivi dans son bureau, les larmes coulaient. Il me parlait mais je ne comprenais pas ce qu’il disait. Il m’a arrêtée jusqu’au mercredi, date à laquelle il m’avait réservé un box pour le curetage. J’ai juste entendu que ce genre de choses, malheureusement, arrive souvent et qu’il ne faut pas être inquiet pour la suite. Et j’ai aussi compris qu’il ne faudrait pas que le bébé sorte tout seul, que j’aille aux urgences en cas de saignements importants ou douleurs.
Les jours qui ont suivi ont passé comme une brume glacée. Le matin au réveil, je croyais que mon bébé était encore là, que ce n’était qu’un mauvais rêve. Il m’arrivait de poser la main sur mon ventre en pensant à lui. Puis je me rappelais. Et les larmes revenaient. Le dimanche, j’ai commencé à saigner. J’avais peur de perdre le bébé toute seule, de le voir, avec ses petites mains et ses petits pieds qui ne grandiraient jamais. Par chance mon mari a pu revenir pour quelques jours. Le lundi matin il m’emmenait en urgence à la clinique, on m’opérait dans la foulée. L’autopsie de l’embryon n’a rien révélé d’anormal. C’était une petite fille, on l’aurait appelée Léa. En secret, je lui ai donné son nom. Le jeudi mon mari repartait.  Le lundi je retravaillais. C’est un vide énorme qui m’a suivie partout pendant de longues semaines. J’essayais de m’accrocher, il m’arrivait de rire, mais je n’étais plus la même, et je ne le suis jamais redevenue. La part d’insouciance est partie pour toujours. L’impression d’avoir laissé un morceau de moi et de mon âme derrière nous, à contrecœur. Etre enceinte me manque, mon bébé me manque, je pense à elle et j’en pleure encore parfois aujourd’hui. Jusqu’à la date prévue de l’accouchement, j’ai vécu la grossesse en l’imaginant et le jour J je n’étais pas belle à voir.
J’ai donc compris que nous n’étions pas dispensés d’en baver dans la vie. Alors on a accepté qu’il faudrait peut-être encore du temps, même si dès le mois suivant mon retour de couche, bénédiction du gynéco en poche, nous avons recommencé à tout faire pour avoir un bébé. C’était parti pour les courbes de température, l’observation de la glaire et du col de l’utérus, le moral dans les montagnes russes, calé sur mes cycles. On se disait qu’on avait mangé notre pain noir et que notre tour arriverait dans les mois qui venaient. En septembre, toujours rien. Nous sommes retournés voir le gynéco et lui avons expliqué, les dix-huit mois d’essais, les deux ans et demie d’arrêt de pilule, on a un peu insisté pour qu’il fasse quelque chose. Quelques ordonnances plus tard, on était partis pour une première série d’examens et une première tentative de stimulations simples sous citrate de clomifène.
Les examens n’ont rien donné, les 5 mois de traitement non plus. Le verdict : hypofertilité inexpliquée. On passe un mois sans traitement pendant lequel on profite du calme pour faire deux derniers examens (hystérosalpingographie et test de Hühner) et on embraye sur les inséminations. L’HSG revient ok, le Hühner pas terrible mais probablement fait au mauvais moment. Ça confirme la solution des inséminations. Sauf qu’on ne va pas en avoir besoin : je suis enceinte. Cette fois nous prenons la nouvelle avec beaucoup d’appréhensions, nous sommes toujours très marqués par la fin tragique de la première grossesse, et les 11 mois d’attente qui ont suivi.
Bien nous a pris de ne pas nous réjouir trop vite. Le taux évoluait bizarrement, par saccades, pas assez vite. Après une suspicion de grossesse extra-utérine, une injection de méthotrexate pour la stopper, sans trop d’effet, une confirmation de grossesse normale, une remontée en flèche du taux de BHCG… trop tard… pour mieux s’écrouler, la grossesse s’arrête à 7SA. Nous étions préparés mais le coup est rude, l’enchaînement d’évènements est intense. Je souffre de l’arrêt de cette deuxième grossesse, et la perte du premier bébé me revient comme un boomerang.
Je me rends compte que ce premier deuil ne sera pas terminé avant… longtemps… Et cette seconde perte vient s’y ajouter. Je sais que le jour où nous serons parents, nous trouverons l’apaisement. Je vois ce deuxième embryon comme une petite étoile, je n’arrive pas à l’imaginer comme mon bébé, comme j’ai fait la dernière fois. Je crois que je me suis trop endurcie, et je n’y ai presque pas cru. C’est tout ce temps perdu que je trouve difficile à tolérer. Nous nous demandons pourquoi le sort s’acharne comme ça, mais nous savons bien maintenant que nous ne sommes pas les seuls. Et nous savons bien que du pain noir, il peut y en avoir encore. Depuis quelques mois, la blogosphère constitue un appui plus que salutaire, surtout pour moi. Ça n’enlève pas la peine, mais on se soutient les unes les autres, comme on peut.
Il n’est plus question pour l’instant de reprendre le traitement. Trop de mal a été fait, trop de plaies sont à panser. Les inséminations attendront un nouvel automne. Malgré cette pause qui me semble nécessaire, malgré l’insouciance qui nous a quittés, cette maudite hypofertilité inexpliquée nous fait espérer à tort à chaque cycle puisque ces deux grossesses ont pu démarrer en l’absence de stimulation, l’envie d’avoir ce bébé est plus forte que jamais. Nous devons reprendre des forces, mais nous n’avons pas dit notre dernier mot.
En résumé, ce qui ferait avancer les choses :
– les fausses-couches sont banalisées par le monde médical (ce n’est peut-être pas mis en avant dans l’article mais j’en ai souffert), proposer un suivi, une écoute, ou tout simplement leur accorder l’importance nécessaire ne serait pas un luxe, et même pour une première fausse-couche hors AMP. (pour la deuxième à 7SA j’ai du réclamer deux jours d’arrêt, sur lequel était écrit « métrorrhagies », comme si la perte de mon bébé n’existait que dans ma tête).
– les fausses-couches ne sont considérées comme « à répétition » qu’à partir de 3 fausses-couches. Avant 3, ce n’est aucunement considéré comme un problème du point de vue des médecins. Les examens de base, et les moins coûteux, pourraient être proposés avant. Que de temps perdu et que de chagrin sacrifié quand on s’aperçoit d’un problème après 3 fausses-couches. Il en va de même pour les examens pratiqués sur les embryons, qui ne sont pas systématiquement faits.

Commentaires à propos de cet article (11) :

  1. Tu m’as fait pleurer Pimpim… Tu décris si bien ce passage de l’insouciance à l’angoisse permanente… C’est aussi ce qui est si dur dans toutes ces histoires, perdre la naïveté si légère que certains peuvent conserver… Tu parles si bien de votre tout petit bébé et de votre étoile… Pourvu que bientôt vous ayez le bonheur de tenir votre enfant dans vos bras.

  2. Merci pour ton témoignage, tu décris très bien cette impression de n’être plus la même, d’avoir perdu toute insouciance, de se réveiller le matin et d’avoir « oublié »…

  3. J’espère pour vous que vous saurez trouver rapidement la force de repartir. Courage ! Devenir maman vaut bien toutes ces larmes, ce vid, ce désespoir. Le bonheur ensuite n’en est que plus intense.

  4. Merci pour ton récit !
    Ton histoire me trouble, me rend triste et me renvoie quelque peu vers mon histoire ..
    Je me suis déjà baladée discrètement sur ton blog
    Je déverse toutes mes larmes en écoutant « les petits pieds de Léa » régulièrement, il n’y a que ça qui fait passer le mal être quand il est présent.
    Je pense effectivement que le suivi psychologique n’est pas assez important, jamais on nous demande comment on va, je ne trouve pas toujours les équipes médicales très humaines. Je sais bien qu’ils font ça à longueur de temps mais pas nous !! Nous n’avons pas toujours les épaules assez larges et ça nous arrive de craquer mais qui s’en soucie ?! Heureusement que nous avons nos proches mais ils ne saisissent pas vraiment tout et sont parfois maladroit.
    J’ai essayé le psychologue par ma propre initiative mais ça n’a pas été concluant du tout, j’ai tenu 10 minutes au bout de la deuxième séance pour ne plus le revoir. Ca devrait être systématique un RDV psychologique après un échec quel qu’il soit mais avec quelqu’un spécialisée dans cette partie ..
    Ensuite j’aimerai parler du Méthotrexate, j’en ai fait la malheureuse expérience 2 fois pour une suspicion de Grossesse Extra-Utérine. Juste pour une suspicion, on n’a jamais rien vu à l’écho, Il y avait juste les taux qui ne doublaient pas les 48h. On ne m’a pas trop laissé le choix et on m’a fait peur en me disant que si je ne le faisais pas, ma trompe risquait de se rompre et je pouvais y rester en faisant une hémorragie interne si ça se produisait. Sympa .. Pour la première fois, je pense effectivement qu’il y avait un souci, je pense que c’était une Fausse Couche plutôt qu’une GEU .. donc le MTX l’a évacué. Mais je ne suis pas si sûre de l’utilité pour la deuxième même si des taux qui ne doublent pas ne sont pas bon signe.. J’aurai voulu qu’il attendent quelques jours de plus que le taux soit suffisamment élevé pour voir quelque chose à l’écho. Je leur ai dit mais nada, « vous n’avez pas le choix madame ! » 3 jours après l’injection, je pense avoir perdu ce qui devait être l’oeuf de manière quasiment intacte. Donc il n’était pas dans une trompe .. J’ai fait des recherches par la suite car je ne peux pas croire à 2 GEU en FIV : « En cas de GEU après FIV, les études tendent à montrer une préférence pour la chirurgie avec salpingectomie, plutôt que pour le traitement conservateur par Méthotrexate qui favoriserait les récidives ». (source natisens) Je pense que les médecins choisissent cette option un peu trop vite. C’est sûr que ça évite la chirurgie et la perte d’une trompe mais est-ce un choix ultime ?! En plus ce n’est pas un produit anodin, il sert pour les chimios et derrière il faut attendre 3 à 6 mois avant de se remettre en marche ..
    Je voulais souligner ces deux points et ton récit me l’a permis.
    En tout cas, je te souhaite très vite un grand bonheur !

    1. Un grand bonheur pour vous aussi, très vite !
      Tu fais bien de souligner ces deux points. Je crois que je ne suis pas encore tout à fait « remise » de cette histoire de mtx et je crois que c’est la première chose que je vais aborder dans 10 jours quand je reverrai ma psy. J’en parle peu, je crois que j’ai du mal à assumer d’avoir laissé faire ça… C’est vraiment traumatisant de mettre fin à une grossesse dont on n’a pas de signes physiques indiquant qu’elle soit mal barrée. Avec le recul, si ça se reproduisait, je refuserais l’injection. Mais sur le coup on est tellement désemparés… Ca me réconforte d’avoir lu ton témoignage. J’en avais trouvé si peu à l’époque, je me sentais si seule…Merci à toi 🙂

  5. Votre histoire me rappelle terriblement la mienne…c est vrai que lorsque on fait une fausse couche et au on va aux urgences la seule au ils m ont dit et pour mes 2 fc précoces rentrez chez vous prenez du spasfon… on nous laisse seule…

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