Congélation ultra-rapide versus Congélation lente.

Congélation « lente » ou congélation ultra-rapide, autrement appelée vitrification ? Avons nous tous accès à la dernière technologie qui permet d’abîmer le moins possible nos embryons si difficilement obtenus ? sommes nous tous égaux face à l’accès au progrès des techniques d’AMP?

Voici un article de Christophe SIFER sur le sujet:

Congélation ultra-rapide versus congélation lente : techniques et résultats

Depuis fin 2010, après expertise de la littérature faisant état à la fois de la supériorité de cette méthode en termes de survie des embryons et de son innocuité pour les enfants nés, l’Agence de Biomédecine a validé la vitrification embryonnaire comme amélioration technique de la congélation lente (CL).

De plus, en 2011, la révision de la loi de bioéthique a autorisé en France le recours à la vitrification des ovocytes dans un cadre restreint à l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) ainsi qu’à la préservation de la fertilité des patientes soumises à un traitement stérilisant.

Le but de ce travail est donc d’effectuer une revue bibliographique comparant les données disponibles dans la littérature quant à l’efficacité de la vitrification et de la CL concernant l’embryon et l’ovocyte.

Comparaison des principes et méthodes de congélation :

Le principe de la congélation, que ce soit pour l’ovocyte ou l’embryon repose sur le passage de l’eau intra et extra cellulaire de l’état de phase liquide à l’état solide en utilisant des agents moléculaires dits cryoprotecteurs (CPs). Le rôle majeur de ces CPs sera de se substituer à l’eau intracellulaire (CPs pénétrants) en créant un gradient osmotique à l’aide d’un sucre non pénétrant (en général, le sucrose). Les différences techniques entre la CL et la vitrification.

Brièvement, la CL des embryons repose sur une descente lente en température de 20°C à – 30°C après exposition longue à des concentrations faibles et croissantes en CPs (protocole le plus fréquent : 1,5M propane 1-2 diol, sucrose 0,1M ; -2°C/minute de 20°C à -7°C, cristallisation induite (seeding), -0,3°C/minute de -7°C à -30°C puis plongée dans l’azote liquide). Le même protocole de CL a longtemps été utilisé pour les ovocytes mais une augmentation de la concentration en sucrose à 0,2 ou 0,3M a montré sa supériorité (Gook and Edgar. 2007). Dans tous les cas, la CL utilise un support fermé évitant le contact direct entre l’échantillon et l’azote liquide. La CL du fait des concentrations faibles en CPs induit un passage de l’eau en phase cristalline.

La cristallisation aléatoire de l’eau dans l’échantillon congelé est principalement responsable du phénomène de lyse partielle ou totale de l’ovocyte ou embryon congelé, observée au décours de la décongélation et va définir les paramètres qualifiant l’efficacité biologique de la procédure de congélation, à savoir principalement : le taux de survie intacte (TSI) (% d’ovocytes et/ou embryons ayant résisté totalement), le taux de survie (TS) (%d’embryons dont au moins 50% des blastomères ont résisté).

La vitrification (ovocytaire et embryonnaire) consiste en une exposition très brève de l’échantillon à une concentration élevée en CPs (protocole le plus fréquent (dit de Kitazato) : exposition de l’échantillon aux CPs (DMSO, Ethylène Glycol) (i) à 7, 5%/7,5% v/v jusqu’à équilibration pendant quelques minutes puis (ii) aux concentrations » vitrifiantes » de 15%/15% v/v associées à 0,5M de sucrose pendant moins d’une minute, temps de dépôt d’un micro volume (0,1 µl) contenant l’échantillon sur son support inclus, avant plongée dans l’azote liquide.

A ce stade, la descente en température de 20°C à – 196°C, de toute façon ultra rapide, dépend du type de supports utilisés. En effet, selon que l’on utilise des systèmes dits ouverts (contact direct de l’échantillon avec l’azote liquide) ou fermés (absence de contact direct avec l’azote liquide), la vitesse de descente en température sera de – 20 000°C/minute et de –2 500°C/minute, respectivement.

Cette notion a son importance. En effet, plus la vitesse de refroidissement est rapide et plus on évite le réarrangement moléculaire de l’eau, en l’occurrence la formation de cristaux de glace. Ce passage « prolongé » à la phase cristalline pourrait influer sur l’efficacité de la procédure de vitrification en termes de survie de l’échantillon congelé, et notamment pour l’ovocyte, cellule thermosensible par excellence et très riche en eau.

Efficacité comparé de la CL et de la vitrification concernant les embryons :

Il est démontré que l’aptitude d’un embryon à s’implanter lors de son transfert intra-utérin et après avoir subi le processus de congélation/décongélation se résume à sa survie et ainsi, plus il a survécu de façon intact, plus ces chances sont bonnes (Edgar et al., 2007). L’efficacité biologique de la congélation embryonnaire par CL versus vitrification a été étudiée et il a été montré qu’à la fois le TS et le TSI étaient améliorés significativement en faveur de la vitrification et ce, à tous les stades du développement embryonnaire.

En effet, une méta analyse récente montre qu’aux stades précoces (Jours (J) 2 ou 3), le TS était respectivement de 84% après CL et 98% après vitrification (Loutradi et al.,2008). Cette différence était significative (p=0.0002). La même étude montrait une différence encore plus importante (75 vs. 90% ; p3 (à J2) et >6 (à J3) blastomères et <30% de fragmentation cytoplasmique (dépourvus de blastomères multinucléés). Les étapes de congélation et décongélation ont été effectuées en utilisant les kits Irvine et les paillettes CryoBioSystem en suivant les instructions des fabricants. Les données obtenues ont été comparées à une série rétrospective de 189 cycles de décongélation après CL effectuées de Janvier à Octobre 2010 en utilisant les kits Medicult. Seuls les rangs 1 et 2 de décongélation embryonnaire ont été inclus.

Le critère de jugement principal était les TS et TSI. Le critère de jugement secondaire était le taux de grossesse clinique, défini comme la présence d’un sac gestationnel intra-utérin avec activité cardiaque.

Au total, 87 et 412 embryons ont été décongelés après vitrification (1.50 +/- 0.63 par décongélation) et CL (2.18 +/- 1.35), respectivement (p=0.0002). Nous avons observé une différence hautement significative respectivement des TS et TSI après décongélation des embryons vitrifiés lorsque comparé aux embryons décongelés issus d’une CL (98.3 +/- 13.1% vs. 77.3 +/- 32.0%, p<10-4 ; 88.2 +/- 28.3% vs. 47.7 +/- 41.4%, p<10-4). Par ailleurs, le taux de grossesses par cycle de décongélation embryonnaire était respectivement de 32.7% (19/58) et 18.5% (35/189) (p=0.03) en faveur du groupe des embryons décongelés après vitrification. Nous avons également fait état de la première naissance française par cette technique (Sifer et al., 2011).

Efficacité comparé de la CL et de la vitrification concernant les ovocytes :

La problématique de la congélation de l’ovocyte est liée à sa forte teneur en eau, ce qui rend cette cellule très sensible aux variations de température. Ainsi, pratiquement toutes les données disponibles comparent les issues biologique et clinique des ovocytes frais avec celles des ovocytes ayant subi la vitrification en système ouvert, système permettant en théorie de minimiser le temps de passage à la phase cristalline. Une issue comparable des ovocytes frais ou vitrifiés a été rapportée dans plusieurs études prospectives randomisées, que ce soit pour le modèle du don d’ovocyte (Cobo et al. 2008 ; Cobo et al., 2010) ou les ovocytes vitrifiés au décours d’un programme d’AMP intraconjugal (Rienzi et al., 2010). Pour ces études, le TSI des ovocytes vitrifiés en système ouvert était supérieur à 95% et leur mise en fécondation par ICSI aboutissait aux mêmes résultats que ceux obtenu avec les ovocytes frais, en termes de taux : de fécondation, de clivage, de développement en embryons de belle qualité, de grossesse et d’implantation.

La conclusion des auteurs est ainsi que la vitrification des ovocytes en système ouvert aboutit non seulement à un excellent taux de survie des ovocytes congelé mais aussi que ses « compétences » ne sont pas altérées par cette procédure. A l’inverse, une étude prospective longitudinale, incluant les résultats de 234 cycles de FIV/ICSI cumulés avec ceux de 256 cycles de décongélation d’ovocytes congelés par CL avec 0.3M de sucrose, a montré un TSI de 72.8% (Magli et al., 2010). De plus, les auteurs décrivent une altération de l’issue biologique des ovocytes ayant survécu après ICSI avec notamment une qualité embryonnaire et une capacité de développement jusqu’au stade blastocyste significativement diminuée lorsque comparée avec les ovocytes frais. Les auteurs concluent ainsi à une perte de la compétence biologique des ovocytes congelés par CL.

De façon très intéressante, une étude très récente a comparé en utilisant la même méthodologie longitudinale l’efficacité de la vitrification des ovocytes par les systèmes « ouvert » et « fermé ». Ainsi, les issues biologiques de 48 et 49 cycles frais ont été comparées à celles de 51 et 53 cycles de décongélations utilisant un système ouvert (Cryotop) et fermé (Cryotip), respectivement (Paffoni et al., 2011). Les auteurs confirment une issue biologique comparable des ovocytes vitrifiés avec un système ouvert par rapport aux ovocytes frais. Cependant, ils décrivent une diminution significative des taux de fécondation, de clivage et d’obtention d’embryons de belle qualité concernant le recours à une vitrification en système fermé.

Les résultats comparés de l’issue biologique des ovocytes vitrifiés en système ouvert ou système fermé montrent que le TSI est nettement supérieur pour les ovocytes vitrifiés en système ouvert (82.8%) comparé au recours au système fermé (57.9% ; p=0.001). De plus, le taux de fécondation et la qualité embryonnaire obtenu à partir des ovocytes ayant survécu avec le système ouvert sont significativement plus élevés que ceux observés pour les ovocytes survivants au système fermé (Paffoni et al., 2011).

Ainsi, la vitrification des ovocytes en système ouvert semble montrer sa supériorité lorsque comparé à la fois à la CL ou à la vitrification en système fermé. Cependant, ce type de vitrification expose à un risque septique de contamination virale et/ou bactérienne puisque le contact est direct avec l’azote liquide ayant servi à vitrifier.

Ce type de risque est difficile à documenter et s’appuie essentiellement sur le principe de précaution, d’ailleurs extrêmement codifié en France depuis l’affaire du sang contaminé. Ainsi, seul le système fermé est autorisé en France malgré la supériorité attendue du système ouvert. Une possibilité de sécuriser en terme de risque septique le contact direct de l’échantillon à congeler avec l’azote liquide serait peut être de le stériliser par action de rayons ultra violets, comme une étude récente l’a d’ailleurs rapporté (Parmegiani et al., 2011)

Conclusions :

La vitrification embryonnaire, enfin autorisée en France, est un réel progrès dans nos centres d’AMP. En effet, la littérature démontre une nette amélioration de la survie des embryons congelés par cette méthode lorsque comparée à la CL. Ainsi, les embryons congelés sont disponibles à un taux nettement plus élevé qu’après CL pour un transfert intra utérin ultérieur, compte tenu d’une survie approchant les 100%. Elle autorise par conséquent la diminution significative du nombre d’embryons à transférer à chaque cycle, à la fois pour le transfert des embryons frais et celui des embryons congelés, puisque le praticien sait que le risque de perdre des embryons de la cohorte obtenue est proche de zéro.
Ce processus de vitrification embryonnaire modifie ainsi l’ensemble de la prise en charge des patients en AMP par une augmentation des chances de grossesses cumulées et par la réduction du risque de grossesse multiples, et sans risque surajouté pour les enfants nés grâce à cette technique (Wennerholm et al., 2009 ; Wiklands et al., 2010).

La vitrification ovocytaire est assurément un progrès qui révolutionnera nos pratiques, tout en posant de nombreuses questions. Sa supériorité, comparée à la CL, a été démontrée pour le système ouvert même si cette démonstration manque encore de puissance et là aussi, sans risque surajouté pour les enfants nés après congélation ovocytaire (Wennerholm et al., 2009). L’efficacité de la vitrification ovocytaire utilisant un système fermé reste à évaluer sur des séries plus importantes. L’enjeu est d’importance car cette technique offre de multiples applications notamment dans le cadre de la préservation de la fertilité des femmes soumises à des traitements stérilisants, de l’organisation du don d’ovocyte en France.
Elle pose également les questions toutes nouvelles de la place de la congélation embryonnaire à l’avenir et de la préservation de la fertilité dite de convenance, sur lesquelles la société française via la loi de bioéthique de 2011 s’est déterminée, à savoir en faisant tout pour réduire la congélation embryonnaire et en interdisant, pour l’instant, la préservation de fertilité de convenance.

Affaire à suivre….

Cette étude nous démontre par ces résultats et conclusions que la vitrification est une avancée spectaculaire tant pour les embryons que pour les ovocytes.
Cependant, il est encore regrettable que la vitrification ne soit pas encore en place dans toute les PMA en France.
Le même auteur fera une présentation sur « L’apport de la vitrification embryonnaire dans l’efficience d’une FIV » lors des prochaines JTA en Janvier 2014. 
L’article et ses Références bibliographiques sont ici sur le site des JTA (www.lesjta.com)

Commentaires à propos de cet article (3) :

  1. Perso un de mes CECOS le fait et pas l’autre. Comme d’habitude j’aime beaucoup ce genre d’article qui laisse penser que c’est une découverte récente alors que d’autres pays pratiquent la vitrification depuis des années (je ne parlerais pas de nos voisins très à la pointe car on sait qu’ils sont en avance mais par exemple l’Algérie pratique la vitrification depuis 2011). Aujourd’hui en France il me semble qu’il y a très peu de centres qui le pratique.

  2. il est clair que la vitrification n’est pas répandue dans nos centres en France… tjs le manque de moyen ? Manque D’efforts collectifś dans les besoins PMA ? Les petits centres seront tjs a la traîne vis à vis des moyens des gros centres,,, c’est regrettable pour nos besoins… notre localisation.. Le progrès, les réussites. J’ai perdu un embryon a la decongelation, en décembre dernier…mon centre n’avait pas mis en place à ce moment là , la vitrification…. Cela est en cours…

  3. Je viens de faire les frais de ce retard en matière de vitrification. Deux uniques embryons J2 obtenus grâce à une FIV, congelés pour un transfert différé (risque d’hyperstim). Le jour prévu pour le TEC, aucun des deux n’a survécu. La technique employée était la congélation lente… L’amertume et la colère prédominent là.

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