Bioéthique, les professionnels toujours mobilisés, alertent les sénateurs !

Monsieur le Président de la Commission spéciale du Sénat

Mesdames les Sénatrices, membres de la Commission,

Messieurs les Sénateurs, membres de la Commission

Le projet de loi relatif à la bioéthique a été adopté à l’Assemblée nationale le 15 octobre après de nombreux amendements et transmis au Sénat. Si des avancées ont pu être obtenues sur le projet de loi initial, il reste certains points de ce projet pour lesquels nous sommes en profond désaccord car ils sont inéquitables pour les patient(e)s, l’accès au soin et la médecine libérale.

En tant que médecins, praticiens de l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP), en première ligne dans l’accompagnement de nos patient(e)s, il nous paraît indispensable et urgent de prendre en considération le point de vue des professionnels, au même titre que celui des associations de patient(e)s, sur plusieurs aspects de cette loi. Nos objectifs sont de permettre la mise en place des avancées sociétales de manière effective et pérenne et de diminuer la charge émotionnelle et financière des échecs et pertes fœtales répétés pour les couples infertiles.

Les praticiens de l’AMP, responsables de la prise en charge, seront les garants de l’exécution de la future loi et militent pour une offre de soins de qualité accessible à toutes les personnes sur l’ensemble du territoire, dans des délais raisonnables.

Nous sollicitons un rendez-vous auprès de vous pour vous exposer les 4 propositions que nous portons :

  1. Afin de satisfaire ces trois derniers points, aucune différence ne doit être faite entre les centres publics et privés. Une seule autorisation pourrait intégrer tous les actes d’AMP pour les centres qui le souhaitent. La participation de tous les centres publics et privés, à but lucratif ou nonà toutes les activités d’AMP et d’autoconservation de spermatozoïde et d’ovocytes est indispensable. Ces activités sont soumises à contrôles réguliers qui garantissent les conditions d’application règlementaire dans tous les centres et l’absence de dépassement d’honoraires pour cette activité d’autoconservation peut être envisagée. Les centres privés actuellement autorisés sont menacés de retrait de leurs autorisations, les centres publics qui ne sont pas autorisés actuellement ne pourront pas l’être compte tenu du S.R.O.S (schémas régionaux d’organisation des soins) alors que les seuls centres publics, dont l’autorisation sera maintenue, ne pourront pas, à eux seuls, prendre en charge les tentatives de fécondation in vitro pour tous et toutes, l’autoconservation sociétale, l’autoconservation médicale dans de bonnes conditions de prise en charge, médicales et humaines, et ces nouvelles activités se feront au dépend de l’existant.

Elle permettra:

  • L’utilisation des moyens humains et matériels déjà déployés ; les besoins liés à l’élargissement de l’offre de soins et aux mesures proposées seront partagés entre tous les centres d’AMP existants (impact plus faible sur les activités déjà réalisées).
  • Le maintien du principe d’équité et de justice au sein de l’exercice de la médecine en France, tout en garantissant l’absence de dérives telles qu’elles existent dans d’autres pays.
  • Elle laissera aux patientes le libre choix de son médecin.

Le maintien d’une activité de qualité, adaptée à toutes les prises en charge pour tous les centres est indispensable. Les Centres privés réalisent actuellement la moitié des tentatives sur le territoire français. Interdire aux centres privés de réaliser l’autoconservation des gamètes (spermatozoïdes et ovocytes), quotidien d’un centre, entraînera obligatoirement un (1) recul par rapport à la précédente loi dans la prise en charge actuelle de certains patient(e)s et couples, (2) un défaut majeur d’accès aux soins pour les femmes et les hommes qui resteront contraints et s’adresseront encore aux centres privés étrangers.

L’activité d’autoconservation de gamètes dans les centres privés à but lucratif ou non peut tout-à-fait s’envisager sans dépassement d’honoraire si cette condition doit permettre aux patient(e)s de pouvoir bénéficier de cette prise en charge en  toute sérénité sur tout le territoire. A noter que cette conservation des gamètes est requise et indispensable à la prise en charge de routine en AMP, et régulièrement « non programmée » comme par exemple la conservation des ovocytes lors d’une tentative s’il est impossible de recueillir du sperme le jour même.

2. Le diagnostic des embryons avant transfert concernant uniquement les aneuploïdies (nombre anormal de chromosomes, non viable dans la plupart des cas) pour les couples qui ont subi des échecs répétés de fécondation in vitro ou plusieurs fausses couches, doit pouvoir être autorisé. Les patients français sont, depuis une décennie, et seront, privés d’une technologie qui n’est plus une innovation et qui a fait ses preuves.

Il ne s’agit pas d’empêcher la venue au monde d’un enfant différent mais avant tout de ne pas transférer ni conserver des embryons si anormaux qu’ils ne s’implanteraient pas ou de permettraient pas de toutes façons une grossesse évolutive.

En tant que cliniciens, confrontés quotidiennement à ces couples meurtris et fragilisés par ces échecs, nous nous associons aux autres praticiens de l’AMP et aux associations de patient(e)s pour regretter et exiger que cette technique puisse être autorisée dans des cas spécifiques. Une large littérature a prouvé son avantage lorsque les indications étaient correctement posées. Dans cette période où se posent les questions du taux de réussite de la FIV en France et de la diminution de la pénibilité de tels protocoles pour les couples, il est indispensable que cette technique soit autorisée.

3. Le maintien dans la loi du caractère pathologique de l’infertilité doit coexister à côté des nouvelles indications sociétales. Ce maintien respecte la sensibilité des couples atteints d’une pathologie qui a mis, met ou mettra en danger leur projet parental. Cette reconnaissance du caractère pathologique, ne devrait rien retirer à la nouvelle loi.

4. La possibilité pour la patiente devenue veuve d’obtenir le transfert du ou des embryons qui avaient un projet parental, est souhaité par les cliniciens, après le respect d’une période de deuil et dans un délai maximal à fixer. En effet, cette situation qui est rarissime est effroyable et ne peut être résolue par le paradoxe entre la possibilité de donner un embryon à un autre couple et ne pas en bénéficier et, parallèlement, pour celle nouvellement veuve, bénéficier du don d’embryon d’un autre couple. Ce paradoxe n’est pas acceptable d’autant plus avec la possibilité du recours aux origines.

Nous, cliniciens de l’AMP, sollicitons une audition auprès de la Commission spéciale du Sénat  chargée de la révision de la Loi de Bioéthique, afin de développer et discuter tous ces aspects qui doivent figurer dans la Loi.

Proches des patient(e)s et en accord avec les associations de patient(e)s qui portent ces mêmes revendications, nous affirmons que méconnaître notre expérience, notre quotidien, notre expertise, nos avis entraînera inexorablement un défaut des nouvelles et actuelles prises en charge des patients.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la Commission, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, l’expression de notre considération la plus distinguée.

Paris le 12 novembre 2019,

Pr Joëlle Bellaisch-Allart (présidente Société Française de Gynécologie)

Dr Hélène Letur (présidente du Groupe Etude pour le Don d’Ovocyte)

Pr Nathalie Massin (présidente Société de Médecine de la Reproduction)

Pr Israël Nisand (président du Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français)

Dr Géraldine Porcu-Buisson (présidente du Groupe d’Etude de la Fécondation in vitro en France)

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